Recommandations du SNAPEC, billet d'humeur - par Guilhem Trouillas

 

Brandir la « liberté individuelle » pour justifier le fait que l’on impose les conséquences de ses propres « choix » à autrui n’est pas plus élégant qu’un vulgaire doigt d’honneur. 

 

Il semblerait que les récentes recommandations du SNAPEC en matière de conditions de travail aient suscité des réactions très variables. Saluées par les uns, conspuées par les autres. Des félicitations aux e-crachats, les membres du Comité Syndical ont à peu près tout reçu.

Au-delà des chiffres retenus que ce soit en termes d'effectifs, de temps de travail ou de format d'activités, deux éléments reviennent quasi-systématiquement dans les arguments de celles et ceux qui déplorent, s'opposent farouchement ou affichent simplement une certaine circonspection à la lecture de ces recommandations : d'une part la critique du principe même de poser un chiffre et d'autre part la crainte que ce chiffre recommandé devienne à court terme la règle à laquelle il n'y aurait d'autre choix que de se plier. Certains ont qualifié ces recommandations d'infantilisantes et liberticides, et ont considéré qu'elles constituaient une atteinte à la liberté individuelle de chaque moniteur.rice, en particulier pour les indépendants.es.

Cette liberté que nous aurions à travailler dans les conditions qui nous siéent - a fortiori lorsque nous sommes indépendants-, certains estiment donc l'avoir plus ou moins. Tant mieux pour eux.

Mais je ne crois pas que ce soit le gros des troupes. Dans nos métiers, même le statut d'indépendant n'implique pas si souvent dans les faits la liberté de choisir tout à fait ses conditions de travail... Qui fixe les prix et les rémunérations ? Qui fixe les effectifs et les jours de repos ? Qui détermine la nature et la durée de l'activité ?

Les contraintes économiques de la boite, le pouvoir d'achat de la population, le budget du club, la peur de l'avenir, l'envie de "faire une bonne saison" pour avoir du temps à côté, la difficulté à faire un pas de côté et proposer autre chose, ... En somme, l'individu -qui en plus se croit seul- face au reste du monde.

Le marché, quoi. Et le marché, on en profite ou on le subit.

Bonjour la liberté.

Ne serait-ce que du simple fait que les pratiques des uns ont rapidement et substantiellement des conséquences sur celles des autres, on voit très bien combien sans une forme de discipline, un certain cadre, la "liberté" des uns peut s'exercer au détriment des aspirations des autres. Et c'est valable en canyon en plein été comme dans une grande salle privée de métropole ou un petit club du fin fond de la cambrousse.

Convoquer la liberté individuelle pour justifier qu'on impose sans scrupule à l'autre les conséquences de ses choix ? Un doigt d'honneur fait à peu près le même effet et a le mérite d'être parfaitement clair et assumé, lui.

Non, je ne me sens pas libre de ne pas être affecté par les groupes en sur-effectif (selon mes propres critères) et les pratiques que cela génère sur le terrain, commercialement et en termes de marché du travail. Non, je ne me sens pas toujours libre de fixer ou de ne pas accepter des tarifs qui ne me permettent pas un revenu décent et un travail digne. Par contre, oui, ces recommandations définies collectivement, en ce qu'elles me protègent et me permettent de plus facilement dire "non" me libèrent un peu du poids du marché.

Non, je n'ai pas peur de perdre ma spécificité. Non, je ne crois pas que l'individu, son libre-arbitre, son discernement, sa sensibilité, ses compétences, soient balayées par un repère ni même une règle en matière de taux d'encadrement et de repos hebdomadaire.

Libre, je le suis d'autant plus que je ne suis pas livré à moi-même quand il s'agit de convenir ou de fixer mes conditions de travail. A cette condition, dans ce cadre protecteur, je suis libre de mes choix pédagogiques. Et ça, c'est fondamentalement mon métier.

Faute de revendiquer mieux sur la base de -soyons fous- ce qui nous semblerait juste bien, on peut toujours essayer de se persuader qu'on est libres de choisir ce que nous sommes en réalité le plus souvent contraints d'accepter. L'illusion de gérer, se raconter qu'on mène bien sa barque, se répéter qu'on n'est pas les plus à plaindre, ça permet d'aller grimper sereinement en semaine pendant que d'autres vont effectivement à l'usine ou s'enferment dans un bureau pour faire un taf très sérieux, parfaitement inutile et totalement dépourvu de sens. Mais je ne crois pas que la liberté de s'auto-exploiter suffise à être profondément satisfait ...

Le Comité Syndical du SNAPEC donne l'impression d'avoir jeté un pavé dans la mare en ne faisant que décrire de bonnes conditions de travail, dans l'intérêt des travailleurs, des publics, des sites et de la société en général. Qui pour contester sérieusement que 8 ou 9 élèves pour un.e moniteur.rice, au moins un jour de repos hebdomadaire et des activités pensées dans le temps pour favoriser les apprentissages divers et variés sont des conditions de travail et des pratiques professionnelles souhaitables !?

Dans SNAPEC, il y a Syndicat. C'est à dire l'ambition collective d'être force de proposition pour concourir sans cesse à l'amélioration de la société. Il ne s'agit donc ni de raler ni de se résigner ni d'être doux-rêveur mais de savoir ce que l'on veut et agir en ce sens.

Dire qu'il existe des freins importants à la mise en place des recommandations du SNAPEC, n'est ni une objection ni une démonstration de ce que ces recommandations seraient inutiles ou problématiques. Les élu.es du SNAPEC ne sont pas responsables de toutes les raisons qui font qu'on peut être tenté.e, contraint.e ou acculé.e à bosser dans des conditions qui ne sont pas souhaitables. Les difficultés socio-économiques n'ont échappé à personne ni au sein du Comité Syndical ni dans la profession dans son ensemble. C'est précisément la vocation de ces recommandations que de traiter le problème complexe des conditions de travail et des pratiques professionnelles dans nos métiers en commençant par définir ce qui est souhaitable. Ce qui ne signifie pas s'en tenir là.

Il est bien clair que ces recommandations ne suffisent pas. Les questions de pouvoir d'achat, de l'accessibilité de nos activités au plus grand nombre, de notre protection sociale et donc d'une forme de redistribution des richesses, de la place dans nos vies (celles des publics et les nôtres, moniteurs.rices) du temps "non-productif" (loisir, culture, sport, ...), de notre rapport à la nature, de la justice fiscale... Il y a beaucoup à faire, bien sûr. C'est bien le sens de l'engagement du SNAPEC aux côtés de la CGT il me semble.

Ces recommandations qui ne font au fond que dire ce que tout le monde savait évidemment déjà (c'est bien de bosser avec des petits groupes, d'avoir le temps de se reposer et de ne pas bosser dans le speed, comment être contre !?) ne devraient pas être l'objet de discussions interminables et vaines.

Ne nous méprenons pas. Les contorsions pour éviter de regarder le problème en face seront toujours bien plus fatigantes que d'essayer de trouver des solutions, même si ça n'est pas facile. C'est de nos difficultés que nous avons à parler.

 

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Recommandations du SNAPEC, billet d'humeur - par Guilhem Trouillas